C'est
une famille dans laquelle les fêtes sont des fêtes de famille. On
n'y invite pas souvent d'amis. C'est pourquoi cette fête-là est
mémorable, à l'occasion de la nouvelle maison que la grand-mère
s'est fait construire sur une petite île grecque, parmi les oliviers en terrasse. En fait, la maison
est terminée depuis l'été passé, mais on a attendu que la piscine
soit prête elle aussi pour organiser la fête. Et c'est une vraie
fête, avec une atmosphère de fête. On croirait inutile de le
préciser, mais dans cette famille, une fête festive est une chose
presque inconnue. Sur le balcon qui surplombe la piscine, les enfants
excités croquent des pistaches pendant que les adultes prennent
l'apéritif. La grand-mère a fait du sorbet aux pêches. Le soir monte sur la mer, ça rosit, l'air enfin commence à fraîchir. La lune se
lève dans tout ce rose, presque pleine, une beauté, un oracle. Elle
vient se refléter dans l'eau immobile de la piscine. (Les enfants
n'ont pas eu le droit de se baigner, ça aurait fait trop de bruit.)
Quelqu'un,
en riant, dit ce qu'on dit toujours: on croirait pouvoir la toucher.
Et puis on trinque et passe à autre chose.
Mais
soudain une éclaboussure, un grand jaillissement. C'est la petite
dernière, elle doit avoir quatre ans, qui a sauté à l'eau, toute
habillée. A son âge, elle nage comme un chiot, et se démène pour
attraper la lune qui se défait sous ses doigts. Un instant, elle ne
comprend pas. Du balcon comme d'une loge, après une seconde de
silence inquiet, tout le monde éclate de rire. Dans l'eau, la petite fond en larmes, si fort qu'on va vite la repêcher. Elle sort de l'eau
humiliée, désemparée.
Petit à petit les rires se taisent, on cherche à expliquer, à
consoler, mais le mal est fait : ils se sont moqué d'elle, qui voulait leur offrir la lune, moqué de sa bêtise. Pourtant
ce rire-là, blessure inoubliable, c'était aussi un rire
de
tendresse. Pour elle,
la
benjamine, la dernière d'entre eux, la seule encore à l'innocence
assez pure pour ce geste magnifique et ridicule.
Un rire triste aussi, sali d'un peu de pitié de soi devant cette
mioche minuscule qui a encore toute la vie devant elle, jusqu'aux plus
élémentaires découvertes. Un rire attendri.
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