C'est
jeudi, jour du tirage de la loterie. Il y a une quinzaine de
jeudis qu'elle joue seule, après qu'il lui a demandé de le faire
avec lui, trois fois. Avant, elle n'avait jamais joué. Ensuite il l'a quittée, en disant qu'il
s'était trompé, qu'elle n'était pas la bonne. La bonne, ce serait
celle qui lui porterait un tel bonheur qu'ensemble ils gagneraient le
gros lot. Trois jeudis, c'est plus qu'assez pour se faire une idée.
Elle ne lui fera jamais de miracle.
Depuis,
elle joue sans lui, mais pour lui. Elle s'imagine lui téléphonant
pour l'avertir qu'ils ont gagné. Pas forcément le jackpot mais au
moins un bon magot. Elle n'imagine jamais de chiffre. Beaucoup. Elle
n'imagine pas non plus qu'elle pourrait réellement gagner. Mais si elle lui
téléphonait, elle sait qu'il viendrait, qu'il ne refuserait pas sa
moitié. Un moment, ils seraient liés par cet argent, les démarches
à faire pour l'obtenir. Le beau miracle. D'y
penser, ça la fait rire.
Tous les jeudis, elle lui fait un million
dans le dos.