Feb 10, 2008

Swan lake, 4 acts. Raimund Hoghe

Longtemps immobiles.
Comment commencer à bouger ?
Le bossu fait le cygne.
Nous voulons bien qu’on nous prive de presque tout, pourvu qu’ensuite on remplisse toutes nos mesures.
Mon voisin a accepté de venir avec elle au ballet. Ma voisine le regrette, il s’ennuie tant.
Le bossu meurt avec des douceurs ironiques.
Vient une rousse en tutu noir, ses bras nus vêtus de muscles vivants comme des vers. Son dos grouille.
La graisse, ça ne peut pas se contrôler. Ça pend, ça tremble. Pour cela qu’elle est défendue aux danseurs, parce qu’elle danse toute seule ?
Le bossu recouvre chaque petit canard d’un minuscule linceul.
Voici un jeune homme beau comme un gendre, mais pieds nus.
Comme je voudrais que quelqu’un s’élance.
Un spectacle sur ceux qui ne s’élancent pas ?
Le bossu est maintenant lui-même un canard mort, son souffle joue à la montgolfière avec le petit linceul.
J’ai envie que le grand prenne le petit bossu et le garde dans ses bras.
Le petit canard bossu est résolument vivant. Pas cygne mais vivant.
C’est un jeu de société, voici la jeune fille, elle a enlevé ses pointes pour jouer à ne pas mourir.
Le prince se promène parmi les respirants cadavres des volatiles. Comme il voudrait s’élancer, lui aussi. Sa force sa jeunesse tout est prêt en lui mais les élancements choses faciles n’ont pas de place ici.
C’est très beau. Je m’ennuie.
(Non, je m’ennuierais sans mon crayon.)
Deux canards -le bossu et le prince qui a le pouvoir sur lui- battent des ailes, lentement. L’un avec tension, le prince.L’autre non. Mon voisin s’endort sur l’épaule de sa copine.
Il rate la fin quand enfin ils s’aiment en silence comme des moulins à vents.
C’est pas la fin, je me disais bien, c’est l’entracte.
La femme revient dans son armure de côtes. Tous les canards sont à terre. Que fait le prince ?
Toujours résister à la musique. Ne pas suivre une seule de ses tentations. Je suis votre chef et votre serviteur, votre tyran qui manie la serpillière.
Le canard bossu se couvre de glace pour faire venir le prince et bien sûr le voici.
Sa grande chaleur virile de prince fait fondre les glaçons. Puis lui aussi veut essayer le jeu du sang qui gèle dans les veines. A nouveau on s’ennuie.
La respiration du bossu est fascinante. Où met-il son air ? Son ventre ondule en deux temps comme s’il savait ruminer l’air.
Mais le prince est à genoux. Et un prince à genoux demande qu’on s’agenouille.
Le bossu et le prince partagent le sang gelé comme un vaccin, un traitement. On s’embrasse et les baisers sont des glaçons. Ce qui fond entre toi et moi nous rapproche. La tendresse est sévère mais existe. Le bossu c’est la princesse bien sûr et comme toutes les princesses il se monte sur la pointe des pieds pour être plus facile à embrasser.
Puis il sème de la neige longtemps. Un effet qui dure n’est plus un effet.
La force inutilisée du prince à nouveau. Inutilisée.
Les doigt de ma voisine sur le bras de mon voisin ont déjà dansé bien plus que les danseurs, ils ne s’arrêtent pas. Il s’est endormi pour de bon.
Le couple princier traverse la scène, vers nous. Puis gravement immobiles.
Une valse enfin commence pour eux, une valse à un bras chacun, lente, bien lente. C’est beau. Viennent les autres canards, hiératiques. Ceux-là savent être des cygnes.La valse est devenue un puissant rapport de force. Oui de force, maintenant on l’utilise. Enfin on se met l’un sous l’autre.
Le prince tout seul se souvient de ce qu’il a eu entre les mains. Le bossu fait le compas dans la neige.
Le prince veut se donner mais personne ne le prend. Il devient la princesse. Alors le bossu/princesse lui donne son habit, et meurt encore, torse nu.
L’incroyable œuf que forme le dos bossu de la princesse mourante. Un œuf de cygne. On se demande comment la colonne vertébrale s’y fait sa place.
Comme il est beau le très jeune prince. Si bien droit. La princesse requinquée fait le ménage. Elle a l’air en colère. Le prince encore veut qu’on le prenne. Le troc n’as pas marché.
La princesse se déshabille toute, le prince la regarde, elle meurt toute nue, dos à lui, dos à nous.
Le prince lui souffle un linceul de poussière.
De fumée.
Le bossu ressuscite encore et se plante nue devant le prince grand et carré, lui si petit et tordu , de jolies fesses, ce dos qu’on ne comprend pas. A la main il a ses habits dans un sac de plastique, comme pour partir en courses, nu et tordu devant le beau prince, prêt au départ.
Tout d’un coup, il jette le sac en plastique derrière lui, ce vieux paquet de peurs et de précautions, il n’en veut plus.
Il est toute nue devant le prince. Leurs quatre mains sont ballantes et vides mais on se dit que plus pour longtemps.

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